samedi 9 juin 2012

Littérature et conflits de générations avec MSA ALI Djamal, Sociologue et journaliste, le Dr Ali ABDOU MDAHOMA, les écrivains Abdoulatuf BACAR et Ibrahim YOUSSOUF.

L'oeuvre étudiée est l'Aventure Ambiguë  de Cheick Hamidou Kane.



En partie autobiographique, L'Aventure ambiguë s'articule autour du drame d'un jeune Sénégalais déchiré entre sa culture maternelle et la pensée pragmatique de l'Occident qu'on lui impose. Parcours initiatique – du pays des Diallobé à Paris – qui pose les questions de l'identité noire et de la spécificité de la littérature africaine.

Les balbutiements du roman nègre

Le roman africain proprement dit – à savoir une œuvre en prose traitant de l'Afrique et rédigée par un auteur noir – naît en 1921 avec la publication de Batouala. Texte du Martiniquais d'origine guyanaise René Maran, déclaré « véritable roman nègre » par les jurés du Prix Goncourt l'année de sa parution.

Auparavant, seuls les Métropolitains (Jules Verne, Pierre Loti et consorts) produisaient – pour un public avide d'exotisme – des livres pittoresques sur les coutumes du peuple noir. Pratiques jugées insolites parce que non rattachées à une culture à part entière, dont ils ignoraient jusqu'à l'existence.


A partir des années 20, donc, et plus encore dans la décennie qui précède les indépendances, une première génération de romanciers africains voit le jour qui emboîtent le pas aux poètes lyriques de la Négritude (Césaire, Damas, Senghor). Cheikh Hamidou Kane, qui fait partie de ces précurseurs, entame l'écriture de L'Aventure ambiguë dès 1952.

Un « itinéraire spirituel »

Cette formule de Jacques Chevrier, spécialiste des littératures francophones, résume bien le contenu du livre de Kane. L'aventure dont il est question est celle de Samba Diallo, incarnation de “l'homme des deux mondes”. A la fois dépositaire de la culture peule, dont il est issu, et acculturé.

La crise identitaire qui caractérise le personnage naît du conflit intérieur entre la tradition africaine et la civilisation européenne, dont on l'exhorte à faire une difficile synthèse qui servirait de base à « la cité future » : la nôtre. Ce douloureux conflit se traduit dans la construction du récit que Cheikh Hamidou Kane divise, de manière significative, en deux parties. Le chiffre 2 étant un symbole fort d'opposition et de lutte.

L'influence prépondérante de la religion

La première partie, c'est avant tout l'Islam qui – sans être la seule religion de l'Afrique de l'Ouest – est « la religion de son cœur » (Kane, déclaration de 1956). L'Islam, et le lieu qui le représente: l'école coranique du Foyer-Ardent . Lieu austère où Samba passe son enfance à psalmodier la Parole sibylline d'Allah, sous les coups de bûche incandescente du maître Thierno.

L'incipit, par un abondant champ lexical de la douleur, pose d'emblée une égalité entre violence et religion. Non pour la dénoncer mais pour aider le lectorat occidental à comprendre l'essence de la religion musulmane, qui est d'abord “soumission à Dieu”. Allégeance à laquelle répond la notion de « honte », caractéristique de la Pulagû (morale peule). Cette première partie de L'Aventure ambiguë exalte une morale toute stoïcienne, fondée sur le dépassement de la souffrance et l'expérience de la pauvreté.

Le mysticisme de l'Afrique

L'Afrique, outre l'Islam, c'est une relation particulière à la mort. C'est – comme le note Chevrier dans son essai sur La littérature nègre – « la croyance selon laquelle les morts et les vivants font partie de la même catégorie d'êtres ». Témoin la relation qu'entretient Samba avec la Vieille Rella, sur la sépulture de qui il se rend régulièrement pour lui parler.

L'Afrique, c'est aussi un rapport intime au monde, un mode de connaissance sensible de l'univers perçu comme un tout cohérent. Un ensemble harmonieux où l'homme communie avec la nature qu'il respecte profondément. On pense à la scène où le maître – pourtant cruel avec ses élèves – se refuse à tuer une punaise courant sur son flanc...

La tentation de l'Occident

Ses études coraniques terminées, Samba est envoyé à l'école européenne contre l'avis du chef de clan. Ce dernier méprise l'enseignement des Blancs qu'il regarde comme uniquement utilitaire. Pour lui, les Occidentaux sont aveuglés par leur volonté de conquête, obnubilés par la puissance économique, industrielle et commerciale. Il craint qu'à leur contact, Samba perde la dimension spirituelle de sa formation première et son dialogue privilégié avec Dieu.

Pourtant, la Grande Royale – sœur du chef et figure-clé du roman – décide que l'heure et venue pour les Africains d'entrer à « l'école nouvelle » s'ils veulent échapper à la misère et, peut-être, prendre leur revanche. Dans ces conditions, Samba devient un éclaireur, celui qui ouvre le chemin à une autre génération.

Parce qu'il appartient à l'élite – classe la plus attachée aux valeurs traditionnelles –, il paraît le plus apte à tirer de l'enseignement européen ce qu'il a de bénéfique sans pour autant renier ses racines. Au lycée français, pourtant, Samba commence à étudier les philosophes occidentaux – dont Descartes – et se met à développer des pensées étrangères à son peuple qui le surprennent...

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