dimanche 20 mai 2012

Des problèmes, pas de solutions. Fatalité ?

Dr Ali ABDOU MDAHOMA, Enseignant à Paris.

Que faire des diplômés comoriens, de plus en plus nombreux sur le marché de l’emploi? Cette question n’a cessé de tarauder l’esprit des autorités comoriennes depuis des années. Et, avant même l’ouverture de l’Université des Comores en 2003, ce sujet, crucial, mobilise les experts des ministères concernés, notamment ceux du ministère de l’Éducation nationale, des Finances, de la Fonction publique et de l’Emploi, et ce, à dessein de trouver les voies et moyens nécessaires à la résorption du chômage de ces jeunes diplômés. Ce sujet fait l’objet de moult colloques, séminaires, symposiums et autres journées d’étude, restés sans suivi. Or, il s’agit d’un problème auquel il faudra trouver le plus rapidement possible de solutions viables, vu le nombre croissant de diplômés sans perspectives professionnelles. D’où la question: l’université des Comores peut-être assumer la fonction de véritable creuset humain et incarner l’espoir de toute une nation?

 L’idée de créer une Université aux Comores est sans doute salutaire. Les Comores sont un des rares pays de la sous-région de l’océan Indien occidental qui ne disposaient pas d’université, cadre d’approfondissement de la connaissance. C’est un handicap majeur qui était lourdement ressenti par la population, une épreuve pour les ménages comoriens, obligés d’expatrier à grands frais leurs enfants vers des pays étrangers, de plus en plus éloignés.

 Aujourd’hui, un vieux rêve s’est réalisé, mais avouons-le, dans la hâte et la précipitation puisque les conditions académiques minimales ne sont pas réunies. Jusqu’alors, la machine universitaire tourne au ralenti, faute de ressources humaines adéquates et de logistique appropriée. L’Université des Comores a cessé de paraître comme la panacée universelle.

 Le financement de cette Université pose problème. Le prélèvement de 50 francs comoriens sur le prix du kilo du riz ordinaire qui était mis en place par le Président Azali Assoumani et qui avait fait la preuve de son efficacité est supprimé par Ahmed Abdallah Sambi. Mais, au lieu de rendre exorbitant le prix d’un produit de première nécessité comme le riz, on aurait pu, par exemple, augmenter les taxes sur le tabac, l’alcool et les produits de luxe pour permettre à certaines couches sociales de contribuer au fonctionnement de notre Université.

 Cette Université comptait 4.000 à 5.000 étudiants au titre de l’année universitaire 2010-2011, et en moyenne 700 diplômés y sortent par an de ses différents départements pour tenter d’intégrer le monde professionnel. Or, aucune perspective d’embauche n’a été envisagée par l’État pour faire face au nombre de diplômés qui finissent leurs études tous les ans et qui peuplent les places publiques, faute de mieux. Le chômage existait avant mais, son faible niveau n’en faisait pas un élément important des débats de société et de la vie économique du pays. Personne ne se rendait compte de cette bombe à retardement, qui explose aujourd’hui entre nos mains.

 Tout le monde s’accorde à reconnaître que tous ces jeunes veulent, nolens volens, entrer dans la Fonction publique, considérée comme un label de sécurité de l’emploi. Ce problème engendre des effectifs pléthoriques dans la Fonction publique et, in fine, la masse salariale explose dans un contexte d’irrégularités chroniques du paiement des salaires des fonctionnaires. Lors de notre rencontre du 16 février 2011, à Paris, avec le Président nouvellement élu, le Docteur Ikililou Dhoinine, nous étions chargés de rédiger un Mémorandum sur des propositions concrètes susceptibles de contribuer au développement socio-économique de notre cher pays. Pour ce faire, nous avions choisi de travailler sur le devenir des diplômés comoriens, lesquels se trouvent livrés à eux-mêmes car il n’y a plus de débouchés dans le secteur public, le secteur privé étant embryonnaire. Or, le chômage des jeunes diplômés est une réalité dramatique que les pouvoirs publics doivent vraiment affronter. Malheureusement, ce n’est pas le cas. L’État a failli à sa mission première, qui consiste à embaucher ses diplômés, et on s’interroge sur l’intérêt de former des diplômés et de les abandonner sans perspectives professionnelles. En tout état de cause, pour lutter contre ce fléau, les Comores doivent avoir une croissance économique vigoureuse.

 L’État doit privilégier une croissance créatrice d’emplois. Pour relancer la croissance, il faut stimuler les exportations, en luttant contre l’importation massive de Dubaï et de Chine, encourager la concurrence en abandonnant certaines rigidités et pesanteurs réglementaires du marché, faciliter la transition entre l’École et le marché du travail. Dans certains pays, le ministère de l’Enseignement s’occupe également de l’Emploi. Nous avons opté pour cette thématique afin de voir comment nous pouvons apporter notre modeste contribution à la rapide insertion professionnelle de nos frères et sœurs diplômés.

 Les diplômés sont gravement touchés par le chômage, mais ne sont pas les seuls dans leur cas. En effet, de milliers de Comoriens non diplômés sont sans emploi, et on n’en parle jamais. L’État a donc failli à sa mission, et qu’on ne m’accuse pas d’être hors-sujet car une question se pose: est-ce que ce sont seulement les diplômés qui ont le droit de travailler?

 On ne serait pas fâché de régler tous ces problèmes par la découverte du pétrole aux Comores.Des études ont été menées pour confirmer ou infirmer la présence des gisements de pétrole dans les eaux maritimes comoriennes. Les mers et les sols comoriens pourraient regorger de richesses qui n’ont jamais fait l’objet d’une étude sérieuse. La détection ou la télédétection du pétrole dans les eaux comoriennes ont suscité de débats mais en vain. Les fonds publics détournés au détriment du développement socio-économique par une poignée de personnes sans foi ni loi auraient pu aider à créer des milliers d’emplois susceptibles de résorber ce chômage. En plus, la recherche de l’«or noir» n’a même pas encore commencé. Abandonnons donc cette piste et lançons-nous sur une autre plus réaliste, celle de l’emploi réel, en nous posant de questions basiques: quelle est la part de responsabilité de l’État en matière de création d’emplois? Peut-t-on incriminer l’État de l’incurie constatée à l’égard des lauréats de l’Université de Mvouni, lauréats livrés à eux-mêmes dans l’indifférence absolue des pouvoirs publics? Comment promouvoir le secteur privé de manière à encourager les jeunes diplômés à s’y investir? Est-il vrai que la Fonction publique nationale est saturée? Comment assainir le fichier informatique de la Fonction publique pour recruter les cadres les plus méritants? Quels sont les efforts déployés par l’État pour aider les jeunes diplômés à créer eux-mêmes des activités génératrices de revenus et de valeur ajoutée? La Banque de Développement peut-elle accorder des crédits ou des microcrédits à ces jeunes cadres? Mais, surtout, quelle politique de décentralisation au niveau de chaque île permettra à la fois un redéploiement administratif et la mise en place d’une vraie Fonction publique territoriale? Cette dernière question n’a jamais été soulevée aux Comores.

 En tout état de cause, il est nécessaire de promouvoir la pêche et l’agriculture, qui sont deux des secteurs clés dans notre pays pouvant permettre aux jeunes Comoriens de créer leurs propres activités. Qui n’a jamais eu envie de voler de ses propres ailes, de créer sa propre activité en mettant en place sa propre entreprise? Qui n’a pas songé à devenir son propre patron? Il est également nécessaire de permettre aux diplômés provenant de l’étranger d’avoir une exonération fiscale, pour les aider à créer leur entreprise. L’État est appelé à engager la lutte contre le commerce informel, lutte sans laquelle tout projet d’investissement ne pourrait durer. Pour assurer une croissance durable il faudrait créer des emplois dans le domaine de «l’économie verte» (développement durable), rénover les infrastructures routières, énergétiques et hôtelières pour permettre aux bailleurs de fonds d’investir dans notre pays.

 L’État doit inciter les institutions financières à faciliter l’octroi de crédits aux jeunes diplômés afin qu’ils s’installent à leur compte. Une commission ad hoc parrainée par le ministère de l’Enseignement et par l’Université des Comores doit être mise en place dans le but d’accompagner ces diplômés dans le monde de l’emploi, afin qu’ils réalisent leurs projets, dans des conditions similaires à celles du Pôle emploi (ASSEDIC et ANPE) en France.

 Un centre d’orientation et d’information digne de ce nom doit être créé s’il n’existe pas déjà, et doit jouer son rôle en prodiguant les conseils appropriés aux bacheliers avant de s’inscrire à l’Université des Comores ou à l’étranger.

 L’Université des Comores se doit de privilégier les formations professionnelles notamment celles liées aux nouvelles technologies et celles touchant le secteur primaire (pêche, agriculture, élevage, tourisme etc.). Certes, l’industrie primaire est liée à l’extraction des ressources de la terre et, jusqu’à preuve du contraire, les Comores n’ont pas la chance ou n’en ont peut être pas les moyens de les explorer et de les exploiter. Certes, nous avons dit que l’on va faire des propositions concrètes mais je crois sincèrement qu’il faudrait commencer par soulever les vrais problèmes avant de proposer des solutions.

     Dr Ali ABDOU MDAHOMA, enseignant à Paris
    Source: Alwatwan N° 1896 du 02/02/2012

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